Brève 1
Dans son nouveau livre, "Respire", Marielle Macé nous parle d’aujourd’hui, de nos asphyxies et de nos grands besoins d’air. Parce qu’une atmosphère assez irrespirable est en train de devenir notre milieu ordinaire. Et que l’on rêve plus que jamais de respirer : détoxiquer les sols, les ciels, les relations, le quotidien, souffler, respirer tout court. Peut-être d’ailleurs qu’on ne parle que pour respirer, pour que ce soit respirable ou que ça le devienne. "
Petit extrait :
" Inspire, espère" : dans la respiration, il y a l'air qu'on reçoit et l'espoir qui en vient, qui devrait en venir. Un accueil et un avenir, un appel et une délivrance, sous le vent des paroles.
A cette espérance, il faut un régime de parole, parole pour de bon, parole de santé, parole inquiète de ses effets. C'est aussi le soin pris à la parole et à ce qu'on s'y réserve les uns aux autres qui donne à respirer, qui fait la vie respirable.
Il y a quelque chose en effet, dans l’exercice de la parole, qui peut participer directement de la contamination ou du soin de nos milieux de vie : de leur respirabilité. La parole, exhalée ou émise, fait ou défait la vie et les liens potentiels. La parole pleut, coule, éclabousse, percole, depuis et dans et vers le monde, pour le meilleur et pour le pire. Nos propres phrases parlent moins des choses qu’elles ne s’y mêlent, phrases trempées de réel et y transpirant en continu. Il se pourrait d'ailleurs que la parole soit l’une des régions les plus polluées de la planète, et cela aussi réclame un véritable réengagement.
– Et je ne dis pas cela pour faire croire que tout finit dans la parole, ou « aboutit à un beau livre », mais pour dire que c’est la parole qui finit dans tout, qui se répand dans les paysages, parmi nous, s’en mêle, s’y mêle, et qui peut aussi bien les polluer encore un peu plus que s’y composter, les irriguer. Signes et déchets de signes, phrases et déchets de phrases font aussi nos milieux de vie.
L'environnement, ça regarde en effet tout ce qu'on met entre nous et dans le monde, tout ce qu'on s'envoie, tout ce qu'on fait circuler, jusqu'à la manière dont on se parle donc, la manière dont on souffle et dépose dans l'espace commun la réalité de sa parole. Parler : cette exhalaison qui peut rendre l'air respirable, qui peut ou pas du tout soutenir une respiration collective.
Attention, parler de pollution dans et par la parole, ce n’est pas accuser le langage ; encore moins déplorer un « appauvrissement » de la langue ou même de l’expression – trouver que tel ou tel « parle mal », ou que certains mots ne sont pas beaux. Ce n’est pas un esthétisme, un élitisme : le souci du « beau style » n’a rien à voir avec ça.
C’est le désir de penser la parole elle-même comme un milieu partagé et vulnérable, une zone à défendre, et à défendre dans l’exacte mesure où on la cultive et où on s’y retrouve : un « commun » dont prendre soin. Le monde ne réclame pas de beaux discours (un « sale discours » aussi s’impose), il réclame que nous exercions pour de bon nos responsabilités de vivants parlants. Que nous comprenions l’exercice de la parole comme une responsabilité écologique à part entière : que nous parlions autrement du monde et dans le monde, entre nous et avec les autres."